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Les articles de Gaëtan Brisepierre
sur la transition énergétique et écologique

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Compte-rendu des 1ères journées internationales de sociologie de l’énergie en 2012 à Toulouse

Vous pouvez consulter et télécharger le compte-rendu que j’ai publié sur le site de Leroy Merlin Source et télécharger sa version PDF.

Il faut commencer par dire que ce colloque a été un véritable succès rassemblant plus de 250 participants, ce qui n’est pas commun pour un colloque de sociologie, et montre à quel point la demande sociale sur l’énergie est forte. Le public très diversifié, rassemblait des chercheurs et des professionnels travaillant sur les questions d’énergie : collectivités locales, associations, ingénieurs, promoteurs, bailleurs sociaux, agences de l’Etat…, ce qui a favorisé une grande effervescence intellectuelle dans les échanges. Ce public est venu écouter 75 intervenants, principalement sociologues, de tous les coins de l’hexagone et de l’étranger (Grande Bretagne, Belgique, Tunisie…). Mais l’un des mérites du colloque est d’avoir aussi réservé une partie des interventions à des praticiens de l’énergie : une Agence Locale de l’Energie expliquant la thermographie aérienne, présentation du scénario Négawatt par un membre de l’association…

Ce succès repose en grande partie sur les deux organisateurs : Marie-Christine Zélem et Christophe Beslay n’ont pas économisé leur énergie pour mettre sur pied cet événement. Cette équipe est représentative de la composition du champ de la sociologie de l’énergie : universitaires travaillant dans des laboratoires publics et sociologues travaillant pour le compte de diverses organisations. Marie-Christine Zélem est professeure à l’université de Toulouse – Le Mirail  et dirige le département de sociologie et d’anthropologie. Elle est sans nul doute la pionnière de la sociologie de l’énergie en France, ayant commencé à travailler sur les questions d’efficacité énergétique dès le milieu des années 90. Christophe Beslay est maître de conférence à l’université de Toulouse et exerce en indépendant depuis le milieu des années 80. Dans ce cadre, il a produit de nombreuses études sur l’énergie pour des organismes publics et privés.

L’objectif du colloque  était de structurer le champ scientifique encore en construction de la sociologie de l’énergie. Des événements scientifiques antérieurs avaient déjà engagé une dynamique mais davantage sous l’angle de l’environnement que de l’énergie. Pourtant l’énergie est bien un objet d’étude à part entière dans la mesure où elle est révélatrice des métamorphoses de notre société. A l’échelle du quotidien quand elle transforme nos pratiques domestiques et de consommation ; à l’échelle des organisations quand elle  participe d’une révolution de l’acte de construire ; à l’échelle des politiques publiques tant la « transition énergétique » est devenue en quelques années un enjeu majeur. En tant que champ scientifique, la sociologie de l’énergie puise ses racines dans la sociologie de la consommation, dans celle de l’innovation et des techniques, et dans celle des politiques publiques, en particulier environnementales.

Pendant plusieurs années, les recherches en sociologie de l’énergie sont restées dans l’ombre. Le thème de l’énergie a été très peu investi par la recherche publique en sciences humaines et sociales. Aucun laboratoire de recherche n’est par exemple axé sur cette thématique. En outre, certaines recherches en sociologie de l’énergie sont restées relativement invisibles car relevant de la  littérature grise et soumises à des contraintes de confidentialité. Elles ont d’abord été portées par des industriels, même si certaines institutions publiques se sont positionnées très tôt sur le sujet comme le Plan urbanisme construction architecture (PUCA), le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) et l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME). Ces journées sont donc l’occasion de donner de la visibilité à ces travaux et seront prolongées par diverses initiatives ayant reçue le soutien du CNRS : création d’un groupe thématique à l’Association internationale des sociologues de langue française (AISLF), écriture d’un ouvrage collectif de référence sur la sociologie de l’énergie, ou encore mise en ligne d’un site internet.

Durant le colloque la question de la performance énergétique des bâtiments a été au centre des débats. L’un des axes fort a notamment été la présentation de travaux récents menés sur le secteur tertiaire qui avait jusque là été oublié au profit du résidentiel. Anne Dujin, du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (CREDOC) et Isabelle Mouassaoui (EDF) ont présenté les résultats d’une étude montrant que l’efficacité énergétique dans les bureaux passe essentiellement par la mise en place d’automatismes, ce qui n’élimine pas, au grand dam des concepteurs, l’épineuse question des usages. A travers une enquête menée sur un immeuble de bureaux récent, Jean-Philippe Fouquet de Expertise transfert ingénierie et connaissance sociales (ETIcS) a montré comment les choix énergétiques à la conception pouvaient transformer les espaces et les relations de travail dans l’entreprise.

Autre axe important : l’étude des « compteurs communicants » qui seront installés dans tous les foyers français d’ici 2020. Il existe aujourd’hui, en France et ailleurs, un foisonnement de dispositifs techniques faisant l’objet d’évaluation par les sociologues qui, dans certains cas, participent à leur conception. Pour faire sens les informations délivrées aux consommateurs doivent distinguer les postes de consommation et jouer sur la comparaison. Pour autant, l’information, même pertinente, ne peut suffire à faire évoluer les comportements, elle doit faire partie d’un dispositif plus large qui donne aux consommateurs les moyens de passer à l’acte (conseils, aides aux travaux…). Enfin, la diffusion de ces compteurs suscite un certain nombre de controverses politiques et éthiques qui génèrent des inquiétudes chez le consommateur (coûts, vie privée…).

Au cours de ma première intervention, issue de mes travaux de thèse, je me suis efforcé de déconstruire la température de référence de 19°C qui oriente les politiques publiques d’économie d’énergie en matière de chauffage depuis les années 70. Cette température est toujours prise comme hypothèse dans les calculs de performance énergétique (diagnostic de performance énergétique, réglementation thermique…) ce qui peut conduire à une surestimation des économies d’énergie. Son caractère irréaliste est confirmé par l’étude de Nadine Roudil (CSTB) qui montre que pour 54 % des individus la température de confort se situe entre 20°C et 21°C. Un constat qui n’a pas manqué de provoquer des interrogations sur la possibilité d’une sobriété d’usage et ses liens avec l’efficacité technique dans la réduction des consommations.

J’ai également pu présenter mon travail sur la rénovation thermique des copropriétés qui souligne les changements d’organisation dans les immeubles et notamment le rôle central joué par le « leader énergétique ». Ce travail a été prolongé par Sylvaine Le Garrec de l’Association des responsables de copropriété (ARC) qui mène une étude statistique pour mieux connaître le profil et l’action de ces copropriétaires bénévoles engagés dans la transition énergétique. Mais ce modèle du leader militant reste-t-il viable dans le cadre d’une démocratisation de la rénovation énergétique en copropriété ? L’avenir est-il du côté des Contrats de Performance Energétique (CPE) qui ne supposent pas de remettre en cause le fonctionnement traditionnel des copropriétés ?

Enfin, l’étude de la précarité énergétique apparaît comme un axe de recherche déjà bien engagé qui livre ses premiers résultats. Isolde Devalière (CSTB) a rappelé les grandes étapes de la construction de la précarité énergétique comme problème public en repartant de l’appel de l’Abbé Pierre en 1954. Hélène Subrémon du Laboratoire techniques territoires et société (LATTS) et correspondante Leroy Merlin Source, de retour d’Afrique du Sud, a fait état de la façon dont les classes moyennes du Cap s’adaptent à une augmentation très forte du prix de l’électricité. L’usage de compteur à prépaiement apparaît comme un levier essentiel de connaissance et de gestion de ses propres consommations. Au delà d’une définition statistique, Johanna Lees du Centre Norbert Elias a mis en lumière l’expérience sensible associée à la précarité énergétique : une altération de l’estime de soi qui vient s’ajouter à l’inconfort physique. « Avoir froid » n’est plus aussi banal qu’au temps de Zola. Est-ce en train de devenir une nouvelle figure de la relégation sociale, au même titre que le chômage ?

De façon plus transversale, plusieurs questions ont émergé des débats. Sur les territoires à explorer : l’organisation des entreprises du bâtiment face à la performance énergétique reste une boîte noire à ouvrir. Sur la méthode : l’énergie peut-elle être appréhendée comme tout autre objet d’étude, ou travaille-t-on sur la technique, la consommation, l’habiter… ? Sur le rôle du sociologue : la demande sociale le place souvent dans une position d’expert mais le sociologue ne trahit-il pas alors sa démarche de porte-parole des habitants ? L’un des intervenants a rappelé la définition donné par l’anthropologue Marcel Mauss de l’efficacité qui ne désigne pas pour cet auteur un rendement ou une productivité mais une activité qui a un sens. C’est là peut-être que se situe le rôle des sociologues de l’énergie : redonner du sens dans un univers largement gouverné par la technique.

Dans les conférences d’ouverture et de clôture, les deux « pères fondateurs » de la sociologie de l’énergie, nous ont permis, chacun à leur manière, de prendre un peu de hauteur par rapport à une production scientifique centrée sur le présent et l’occident. Alain Gras du Centre d’étude des techniques, des connaissances et des pratiques (CETCOPRA) est revenu sur l’histoire des techniques pour souligner que le « choix du feu » est une bifurcation somme toute assez récente de nos sociétés. Ce n’est qu’au XIXème siècle que l’exploitation à grande échelle des énergies fossiles a rendu possible la construction de nos sociétés modernes et « thermo-industrielles ». Dominique Desjeux de l’université Paris 5, a proposé sa lecture de la transition énergétique qui revient à faire les Trente Glorieuses à l’envers, un défi qui na va pas de soi vu les progrès sociaux associés à cette période. Une transformation qui renvoie aussi à des enjeux géopolitiques car parallèlement les pays émergents comme la Chine connaissent à leur tour leurs Trente Glorieuses et voient leur consommation (de charbon) exploser !

Ces deux journées ont mis en valeur la vitalité et la diversité d’un champ scientifique en construction mais qui a beaucoup à apporter à la compréhension des enjeux sociaux de la transition énergétique. Experts, politiques, ingénieurs, journalistes, professionnels… il faut désormais compter avec les sociologues de l’énergie !

Rédigé par Gaëtan Brisepierre – novembre 2012

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