banniere-haut-de-page

Les articles de Gaëtan Brisepierre
sur la transition énergétique et écologique

Blog

Les « leaders énergétiques » : ambassadeurs discrets de la transition énergétique en copropriété (CLER-infos, 2013)

Le CLER publie tous les deux mois un magazine destinés aux acteurs de terrains de la transition énergétique et notamment des conseillers info-énergie. Le numéro de janvier 2013 consacré à la sociologie de l’énergie est désormais en ligne.

Le dossier comporte trois articles et constitue une bonne entrée en matière pour sensibiliser à cette approche de la transition énergétique :

  • Marie-Christine Zélem et Christophe Beslay discutent les projets techniques dans le bâtiment et la figure du consommateur d’énergie qu’ils dessinent.
  • Stéphane Labranche et Odile Joly décortiquent la campagne Famille à Energie Positive qui rencontrent un grand succès actuellement.
  • Mon article met en lumière le rôle central des acteurs intermédiaires entre le système (Etat, marché…) et le consommateur final, avec l’exemple des leaders énergétiques en copropriété.

 

Les « leaders énergétiques » : ambassadeurs discrets de la transition énergétique en copropriété

Par Gaëtan Brisepierre, sociologue[1]

La métamorphose écologique de la société ne se joue pas seulement dans la relation entre l’Etat et le citoyen, ou encore dans celle de l’offre et la demande. Les exemples de réussite en matière de changement écologique des pratiques mettent généralement en avant le rôle crucial d’acteurs intermédiaires de tout poil qui agissent souvent dans l’ombre. Il en va ainsi des « ambassadeurs du tri » qui ont participé, dans les immeubles et les quartiers, à la généralisation de cette pratique qui concernerait aujourd’hui 92 % des français[2]. Nous voudrions ici mettre en lumière les « leaders énergétiques », ces copropriétaires qui constituent le principal moteur de la dynamique, encore balbutiante, de rénovation énergétique de l’habitat collectif privé.

Cette expression a été forgée à l’occasion d’une enquête de terrain menée dans le cadre d’une thèse de sociologie sur les économies d’énergie[3]. Elle a émergé au travers des observations et des entretiens menés auprès d’une vingtaine de copropriétés d’Ile de France, engagées à différents stades dans une démarche de rénovation énergétique (audit, travaux..). Ce travail de recherche est aujourd’hui prolongé par celui de Sylvaine Le Garrec qui réalise une étude statistique[4] sur leur profil et l’action de ces « leader énergétique ». Cette notion a également été réappropriée par certains acteurs du secteur de l’habitat et de l’énergie qui en ont fait une catégorie d’action au cœur des dispositifs d’incitation et d’accompagnement à la rénovation des copropriétés.

Mais qui sont exactement ces leaders énergétiques dans les immeubles ? Il s’agit d’un copropriétaire occupant qui agit bénévolement dans le sens des économies d’énergie. Il est « leader », non pas au sens de « chef », mais parce qu’il incarne la rénovation aux yeux des autres habitants, et fait le lien avec tous les professionnels, dont ils coordonnent l’action au niveau de l’immeuble. Son activisme silencieux compense les défaillances des syndics professionnels sur le plan technique, et soutient une dynamique de mobilisation collective autour du projet d’économie d’énergie. Bien plus que le gestionnaire professionnel, c’est ce consommateur engagé qui est aujourd’hui l’acteur clé de l’efficacité énergétique des copropriétés.

Au delà de la crise de confiance généralisée des copropriétaires vis-à-vis des syndics, la rénovation thermique s’intègre difficilement dans le modèle économique traditionnel des administrateurs de biens. Ils se considèrent comme des « généralistes » : les gestionnaires d’immeubles sont recrutés pour leurs compétences juridiques et comptables, mais les compétences techniques nécessaires pour programmer une rénovation ne sont pas présentes dans les agences. De plus, proposer une rénovation signifie pour eux une double prise de risque si le vote des travaux n’est pas positif : ne pas être rémunéré car ils sont payés au pourcentage après travaux ;  perdre leur contrat de gestion en se mettant des copropriétaires à dos pour avoir proposé des travaux non obligatoires.

A l’inverse, l’engagement du leader énergétique dans le projet de rénovation se comprend par un profil très spécifique qui diminue les coûts de transaction. Il s’agit d’une personne ayant une sensibilité environnementale (écologie, frugalité…) qu’il trouve une occasion de mettre à l’œuvre dans leur quotidien. Pour autant, ils ne mettent pas en avant ces valeurs au sein de l’immeuble car cela pourrait être assimilé à une prise de position politique et décrédibiliser son action. Son action repose sur un transfert de compétences techniques et/ou de gestion : souvent des retraités (ingénieurs, architectes, chef d’entreprise…) mais aussi des actifs qui cherchent à se reconvertir dans les économies d’énergie.

Mais une copropriété est avant tout un collectif, et sa cohésion repose sur un imaginaire démocratique de la décision : l’action d’un copropriétaire s’avère contre-productive s’il est isolé. La dynamique de mobilisation des habitants passe d’abord par l’enrôlement du Conseil Syndical autour du projet d’économie d’énergie. Le renouvellement des générations dans l’immeuble peut aider, mais le leader doit parfois aller jusqu’au « puch » vis-à-vis du Président en place. Chaque membre du Conseil peut alors instaurer une communication avec son réseau de voisins pour les convaincre de l’opportunité des travaux. Chaque habitant participe au projet à son niveau : des locataires qui remettent leurs factures d’énergie pour l’audit, aux copropriétaires qui met à profit ses compétences, en passant par ceux qui valident simplement les propositions du Conseil.

L’action du leader combinée à celle du Conseil Syndical soutient alors le processus social d’innovation que représente une rénovation thermique, des étapes préparatoires au passage à l’acte. En chauffage collectif, il instaure une cogestion du chauffage avec l’exploitant, aidant à pacifier les conflits autour des températures et à amorcer la baisse des charges. Au moment de l’audit énergétique, le leader joue un rôle de médiateur en vulgarisant les savoirs de la « thermique du bâtiment » qui permettent aux habitants de donner un sens aux investissements à venir. En amont des travaux, le travail de communication est considérable car il s’agit de transformer le rapport des copropriétaires aux travaux : de l’appartement à l’immeuble, de l’obligation à l’anticipation. Enfin, l’inventivité dans le montage financier permet de réduire l’incertitude des copropriétaires vis-à-vis des coûts à supporter.

Pour mener à bien ce long processus jusqu’au vote, le leader a besoin de soutien car il ne bénéficie pas immédiatement d’une reconnaissance sociale dans l’immeuble. Les acteurs du territoire sont donc au premier plan pour l’accompagner en le soulageant d’une partie de la charge de travail, en soutenant ses apprentissages techniques, en lui donnant accès à un réseau de professionnels qualifiés, en organisant mettant en valeur les bonnes pratiques. L’Association des Responsable de Copropriété a été pionnière en développant le « Bilan Energétique Simplifié »[5] pour préparer la copropriété à faire un futur « Audit Partagé ». L’Agence Parisienne du Climat s’apprête quand à elle à lancer « Coach Copro »[6], un site internet d’aide à la gestion du projet de rénovation. A côté de ces outils, l’accompagnement humain des Conseillers Info Energie et des associations reste tout aussi primordial pour aider le leader à surmonter les divers blocages et entretenir la dynamique.

Toutefois, dans l’optique d’une accélération de la rénovation du des copropriétés, on peut s’interroger sur la viabilité du modèle du leader énergétique ? Etant donné son profil militant et expert, il n’est pas évident que l’on en trouve un pour chacun des 8 millions de logements à rénover. Le Contrat de Performance Energétique (CPE) est en train de s’imposer comme un levier du passage en phase industrielle, car il perturbe moins le fonctionnement traditionnel d’une copropriété. Ainsi, la Région Ile de France lance le 10 janvier 2013, la SEM « Energie POSIT’IF »[7] qui propose une offre intégrée reposant sur le principe du tiers investissement. Mais le développement des CPE, également porté par des acteurs privés (Nexity…), présente des risques pour les copropriétaires car son montage est complexe. Le leader et ses accompagnateurs sont donc loin d’être disqualifié car ils auront à poser les garde-fous nécessaires pour que ces contrats aillent bien dans le sens des intérêts des copropriétaires, c’est-à-dire une réduction ambitieuse des consommations.

[1] Merci à Sylvaine Le Garrec (ARC) et Florian Vaujany (APC) pour leur contribution à cet article.

[2] Etude BVA – Eco-emballages, Les Français et le tri-selectif, Novembre 2012

[3] BRISEPIERRE Gaëtan, Les conditions sociales et organisationnelles du changement des pratiques de consommation d’énergie dans l’habitat collectif, Thèse de sociologie sous la direction de DESJEUX Dominique, Université Paris Descartes-Sorbonne, Financement CIFRE GDF SUEZ, Paris, Septembre 2011.

[5] Site de l’ARC, Guide du Bilan Energétique Simplifié, http://www.unarc.asso.fr/site/guides/grat/BES.pdf

[6] Site de l’APC, Plaquette de Coach Copro, www.apc-paris.com/apc/download/2025.html

[7] Présentation du dispositif de la SEM Energie POSIT’IF : http://www.driea.ile-de-france.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/4-Presentation_de_la_SEM_-_Energies_POSIT_IF_cle5cadc3.pdf

Sur le même thème