Gaëtan Brisepierre est sociologue de l’énergie. Il nous fait partager à travers son expérience de terrain sa vision socio-technique de la rénovation thermique dans les copropriétés et lance un défi aux bureaux d’études thermiques.

Qu’est ce que la sociologie de l’énergie ?

La sociologie de l’énergie, c’est essayer de comprendre les pratiques et les représentations des habitants et des professionnels en lien avec l’énergie. C’est un champ disciplinaire naissant peu étudié par les sociologues avant les années 80 et qui a surtout émergé dans les années 2000 avec l’importance prise par la performance énergétique dans l’habitat.

J’ai fait le choix, pour ma part, d’utiliser une méthode qualitative en ayant recours à une sociologie d’enquête : entretiens avec les acteurs de copropriétés, observation directe de leurs pratiques et immersion dans leur univers social. A partir de ces descriptions, je cherche à analyser et comprendre les motivations des acteurs et les interactions entre eux.

Comment vous-êtes vous retrouvé à travailler dans ce domaine ?

A vrai dire, par incidence ! J’étais au départ plus intéressé par les nouvelles technologies de l’information (NTIC) mais j’ai toujours songé à faire une sociologie utile. Dans le cadre de mon Master, j’ai effectué un stage chez GDF-Suez où on m’a demandé d’enquêter sur les motivations des architectes à utiliser des énergies renouvelables. C’était à l’époque un sujet montant et j’ai continué mon travail sur une thèse déclinée en trois enquêtes de terrain dont une sur les copropriétés. J’ai constitué mon propre bureau d’études sociologiques et travaille en étroite collaboration avec des professionnels et administrations pour apporter une vision plus sociologique et humaine à un sujet abordé très souvent sous l’angle technique et économique. Ca me permet de trouver une réelle utilité à mes recherches.

Quels enseignements majeurs peut-on retirer de la rénovation thermique dans les copropriétés ?

Il y a beaucoup de choses à dire ! Tout d’abord, j’en ai conclu que le système de décision tel qu’il est organisé aujourd’hui par la loi de 1965 fixant le statut des copropriétés rend très difficile le lancement de travaux de rénovation. En effet, le syndic a un tel pouvoir de prescription sur les copropriétaires que chacune de leurs initiatives est souvent tuée dans l’œuf. Or, le syndic n’est pas encouragé à s’investir dans la performance énergétique pour trois raisons :

  • C’est souvent un juriste ou comptable et rarement un ingénieur, donc moins compétent sur les questions techniques.
  • Il gagne son pain en prenant un pourcentage sur les travaux de rénovation votés. Or, le coût de préparation et l’incertitude de réussite du projet le désincitent à entreprendre.
  • Les travaux de rénovation ne sont pas obligatoires et il ne veut pas se mettre à dos les copropriétaires dont dépend son mandat de gestion.

En fait, j’ai remarqué que les travaux en copropriété sont souvent issus de l’investissement d’un copropriétaire que j’ai nommé le « leader énergétique ». C’est souvent un babyboomer, ancien ingénieur ou architecte, bon communicant,  et parfois une figure locale du quartier. En mobilisant autour de lui les membres du conseil syndical qui essaiment l’idée du projet auprès des autres copropriétaires, il va susciter une dynamique collective vers le vote des travaux.

Qu’est ce qui selon vous pourrait pousser les copropriétaires à rénover leurs copropriétés ?

Une meilleure prise en compte de la performance énergétique dans l’habitat passe sûrement par deux révolutions, une organisationnelle, l’autre culturelle.

La révolution organisationnelle suppose de réformer la loi de 1965 aujourd’hui désuète. C’est l’occasion de susciter l’attention sur les enjeux énergétiques, de prendre en compte les initiatives bénévoles et innovantes des copropriétaires et de changer les modèles économiques sur lesquels se base le syndic quand il se lance dans des travaux de rénovation. Cela passe par une reconnaissance de la rénovation thermique comme un investissement et non comme un coût. Des associations proposent de rendre obligatoire une épargne pour les travaux qui constituerait une mise de départ facilitant l’investissement. Les entreprises poussent pour des contrats de performance énergétique inspirés de l’économie de la fonctionnalité. Au lieu de payer les travaux en une fois, la copropriété verse un loyer au groupement d’entreprise qui réalise les travaux, ce loyer est dans le même temps compensé par les économies d’énergie réalisées. Ce système attrayant comporte cependant des risques. Les copropriétaires pourraient être dépossédés de ces choix, le risque étant qu’ils se voient imposer les décisions concernant la rénovation. Or, on ne peut pas faire une bonne performance énergétique sans eux.

C’est pourquoi cela ne se fera pas sans une révolution culturelle qui change notre rapport à l’énergie. Aujourd’hui en France, on a un rapport encore trop paternaliste et enfantin à l’énergie. On a tendance à penser qu’ « il suffit de tourner le bouton et puis ça marche ! ». C’est le problème de notre modèle énergétique centralisé avec ses lointaines centrales nucléaires. C’est pareil pour le chauffage collectif en copropriété, on se déresponsabilise de cet enjeu en reportant la faute sur le professionnel ou le voisin. J’ai remarqué que les copropriétés qui rénovent sont au contraire celles où se met en place un phénomène d’acculturation, c’est-à-dire quand les gens s’approprient les enjeux de l’énergie dans leur habitat en s’accoutumant aux notions de paroi froide et d’isolation par exemple.

Détechniciser la thermique de l’habitat et changer nos modèles de consommation sont-ils des solutions ?

La technique fait partie de l’environnement « naturel » de l’homme. La question n’est pas tant d’enlever la technique mais plutôt d’apprendre à mieux la maîtriser en changeant le rapport entre consommateur et producteur d’énergie. Je pense notamment au consommateur  qui devient co-producteur du service rendu comme les amateurs de Danette qui votent pour des parfums qui sont ensuite élaborés et mis en rayon par le producteur. Le bâtiment ne pourra pas échapper à cette révolution participative. Je pense par exemple à l’habitat groupé qui s’est fortement développé en Allemagne ces dernières années.

Cela pose un réel défi aux bureaux d’étude thermique comme Sénova. Dans la conception d’une étude thermique, on observe au préalable la conception initiale du bâtiment, le climat géographique mais on a trop tendance à oublier les pratiques sociales et motivations de l’habitant. Par exemple, on a tendance à penser que les particuliers rénovent par soucis écologique alors que cela peut être pour des raisons plus diverses : économique bien sûr mais aussi identitaires ou pour s’élever socialement. Même chez des militants écologiques, certains gestes énergivores perdurent car un changement des pratiques nécessite une véritable métamorphose des modes de vie. Ces décalages entre technique et société se traduisent par l’existence d’« effets rebonds », autrement dit par le fait que les résultats de performance énergétique ne sont pas toujours à la hauteur des objectifs fixés. Les conditions du succès de la transition énergétique sont dans notre capacité à mettre l’humain au cœur du changement.

Qu’est-ce qu’un sociologue peut conseiller à un copropriétaire motivé pour rénover sa copropriété ?

Beaucoup de choses sont possibles ! Mais premièrement, ne pas attendre que le syndic ou les professionnels fassent à sa place. Comme on l’a vu, l’initiative d’un copropriétaire motivé peut changer la donne ! Les pouvoirs publics devraient d’ailleurs encourager ce genre d’initiative citoyenne plutôt que vouloir faire tout, tout de suite et proposer des bouquets de travaux très chers et incompréhensibles. Il existe aussi des solutions moins coûteuses qui permettent d’amorcer la démarche. Par exemple, la régulation du chauffage en copropriété a deux avantages : ce n’est pas cher, cela permet d’effectuer entre 10 et 15% d’économies d’énergie rapidement et elle installe la confiance entre les copropriétaires qui se disputent souvent autour de la température optimale.

Deuxièmement, il est très important de communiquer avec les autres copropriétaires autour de son action et ne pas attendre le jour du vote pour présenter le projet car cela ne passera pas. Il faut informer et initier les autres copropriétaires à la démarche.

Votre parcours de chercheur est en lien direct avec des situations concrètes d’habitants. Avez-vous des projets ancrés dans une démarche plus active et engagée ?

En effet, cette transformation est en cours. Je pense qu’on ne peut pas séparer totalement l’exercice des sciences et l’exercice de sa responsabilité citoyenne. J’accompagne actuellement la rénovation thermique de la copropriété de l’un de mes parents. Nous avons déjà fait l’audit énergétique, isolé la toiture, revu le chauffage et on travaille désormais sur l’isolation des façades et des fenêtres.

Je continue en outre mes activités de recherche sur des sujets actuels comme les performances des Bâtiments Basse Consommation et le développement de nouvelles méthodologies d’accompagnement dans la rénovation énergétique toujours pour donner un visage plus humain et sociologique à ce domaine. Je crois profondément que la capacité de dialogue entre sociologues et bureaux d’études thermiques sera l’une des clés de la transition énergétique.

Vous retrouverez la plupart des travaux de recherche de Gaëtan Brisepierre sur son site personnel : http://gbrisepierre.fr/

Propos recueillis par Valentin Martinez