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La revue de presse et les vidéos
de Gaëtan Brisepierre Sociologue

Presse

Interview : Les copropriétaires face aux économies d’énergie (2012)

Interview sur le site Ecocopro.com

1. Quel est le sujet de votre thèse que vous venez de soutenir sous le titre « Les conditions sociales et organisationnelles du changement des pratiques de consommation d’énergie dans l’habitat collectif » ?

J’ai examiné, par des enquêtes de terrain dans les immeubles, toutes les pratiques liées à la consommation d’énergie pour comprendre dans quelle mesure les comportements des habitants pouvaient ou non contribuer à la transition énergétique.

Il s’agit non seulement des pratiques quotidiennes à l’intérieur de l’appartement, mais aussi de la façon dont les habitants participent à la gestion de l’immeuble et aux décisions de travaux. Cette dimension est essentielle dans les copropriétés car le parc de 8 millions de logements est confronté au difficile défi de la rénovation énergétique. J’ai notamment réalisé une enquête sur 22 copropriétés d’Ile de France déjà engagées dans une dynamique de travaux d’économies d’énergie.

Cette thèse a été réalisée sous la direction de Mr Dominique Desjeux, professeur d’anthropologie à l’Université de Paris Descartes – Sorbonne, et financée avec la participation de l’Etat et de la Direction de la Recherche et de l’Innovation de GDF Suez.

2. Quelle place peut avoir plus généralement « la sociologie de l’énergie » dans les copropriétés ?

Les premiers travaux de sociologie sur l’énergie en France datent des années 80 mais c’est vraiment depuis 10 ans que plusieurs chercheurs se sont spécialisés sur le sujet. Aujourd’hui, la sociologie de l’énergie est un champ scientifique qui ne bénéficie pas encore d’une reconnaissance académique, mais qui est en train de se structurer au niveau national et international, comme en témoigne les nombreux colloques sur le sujet en 2012.   

La sociologie peut aider les acteurs des économies d’énergie à innover et à ajuster leurs actions en fonction des observations faîtes sur de terrain. Ces acteurs ce sont les pouvoirs publics, les collectivités territoriales, les énergéticiens, les professionnels de l’habitat, les associations… Elle les aide à construire un cadre politique et économique favorable à la transition énergétique.

Ces acteurs ont très souvent une approche normative des problèmes, autrement dit, ils partent de ce qui devrait être au lieu de partir de ce qui est. La sociologie, telle que je la pratique, les prend à rebrousse poil en essayant de décrire le plus finement possible la réalité sociale, et d’en faire un point de départ pour les aider à élaborer des actions plus efficaces en matière d’économie d’énergie.

Je donne un exemple pour illustrer cette idée : aujourd’hui le gouvernement incite les copropriétaires à faire d’un seul coup l’ensemble des travaux de rénovation énergétique. Pour avoir un prêt à taux zéro il vous faut présenter un « bouquet de travaux » ! Dans les copropriétés où j’ai enquêté j’ai observé la logique inverse : les copropriétaires étalent les travaux d’économies d’énergie sur plusieurs années, car le projet est complexe à gérer et qu’il y a d’autres dépenses à faire dans une copropriété.  Du coup le système des bouquets de travaux exclut un grand nombre de copropriétaires.

Au lieu de rester accroché à un idéal technico-économique, les acteurs privés et publics seraient plus avisés de prendre la réalité sociale comme point de départ, et la sociologie peut les y aider.

3. Le syndic de copropriété est-il le seul moteur des économies d’énergie en copropriété ?

Franchement non ! Pourtant il y a un discours des fédérations nationales en faveur des économies d’énergie. Par exemple la FNAIM a pris des engagements sur le sujet, ou l’UNIS organise des concours de la copropriété la plus vertueuse. Mais sur le terrain, dans les agences, la situation est beaucoup plus difficile.

Ce n’est pas de la mauvaise volonté de la part des syndics, c’est un problème de modèle économique qui, actuellement, n’est pas compatible avec la prise en charge d’un projet de rénovation énergétique. D’abord, cela demande un énorme travail de préparation en amont du vote, alors que les syndics sont rémunérés seulement si les travaux sont votés.

Ensuite les syndics sont des comptables et des juristes mais n’ont pas les compétences techniques nécessaires pour piloter un projet de rénovation. Depuis 15 ans ils ont complètement abandonné la partie technique, par exemple en supprimant le métier d’inspecteur d’immeuble.

Dans les copropriétés qui avancent sur le sujet c’est l’engagement d’un copropriétaire bénévole qui constitue le moteur de la rénovation. J’ai proposé de les désigner par l’expression de « leader énergétique » car ce sont ces copropriétaires qui incarnent le projet aux yeux des habitants, qui coordonnent les différents professionnels, et compensent les défaillances du syndic.

Il y a deux choses importantes à prendre en compte sur ces « leaders ». La première c’est que l’on n’en trouvera pas dans les 8 millions de copropriétés à rénover. En effet ce sont des personnes ayant un profil très particulier qui expliquent d’ailleurs leur engagement sur le sujet. Ils ont des convictions écologiques même s’ils évitent de les afficher publiquement, et disposent de compétences, notamment techniques, qui les aident à s’approprier le sujet.

La seconde remarque sur les « leaders » est que dans la copropriété, cela ne mène à rien d’agir seul, car la copropriété est avant tout un collectif qui se vit comme une démocratie. Pour agir, le leader doit parvenir à enrôler le Conseil Syndical dont chacun des membres disposent de compétences propres et de son réseau de voisins avec qui il peut échanger sur le projet. Dans certaines copropriétés, la rénovation énergétique passe d’abord par un renouvellement du Conseil Syndical, voir un coup d’Etat quand le Président est vraiment réticent.

4. Est-il nécessaire d’organiser la formation des copropriétaires aux économies d’énergie et sous quelle forme ?

Je ne sais pas si les copropriétaires seraient prêts à passer du temps et à dépenser de l’argent pour se former. Mais ce qui est sûr c’est qu’ils ont besoin d’être accompagné car la rénovation énergétique ce n’est pas voter une dépense de plus mais mener une double révolution : organisationnelle et culturelle.

Une révolution organisationnelle car si les copropriétaires ne prennent pas en main eux même le projet de rénovation, rien ne se fera. Or ils sont habitués à se reposer sur le syndic qui joue souvent le rôle de « tuteur légal », là il faut au contraire prendre des initiatives et oser ! C’est un changement de mentalité, il faut passer d’une vision individualiste de l’immeuble, à une vision plus communautaire car l’immeuble constitue le patrimoine commun des copropriétaires.

Une révolution culturelle aussi car au départ les copropriétaires ont une vision plutôt simpliste de l’énergie : « Il suffit de tourner le bouton pour que ça marche ! ». La rénovation suppose des apprentissages techniques pour affronter la complexité des problèmes. Bien sûr cela concerne en premier lieu le leader et le Conseil Syndical, mais ces notions techniques doivent aussi faire l’objet d’une vulgarisation au niveau de tous les copropriétaires. Si vous ne connaissez pas la notion de « paroi froide » vous ne pouvez pas comprendre pourquoi l’isolation permet d’améliorer le confort !

Actuellement, c’est le monde associatif qui accompagne ces deux révolutions. Les associations qui gèrent les Espaces Info Energies jouent le rôle de médiateur avec les professionnels techniques, comme les bureaux d’études, qui n’ont pas l’habitude de travailler avec des particuliers. Les associations consuméristes comme l’ARC jouent notamment un rôle de contre-pouvoir vis-à-vis du syndic, bien utile aux copropriétaires pour se dégager de cette tutelle.

Le problème est que le tissu associatif n’est pas dimensionné pour accompagner la rénovation des 8 millions de logements en copropriété. La question qui se pose est de savoir quels acteurs vont prendre le relais pour passer à la phase industrielle de la transition énergétique en copropriété ?

5. Qu’appelle-t-on » l’effet rebond » en matière d’économies d’énergie et de développement durable dans les copropriétés et comment l’éviter ?

Les experts désignent par cette expression une surconsommation d’énergie à la suite de travaux, par rapport à ce qui avait été envisagé dans les calculs préalables. On a aujourd’hui assez peu de recul pour mesurer ces surconsommations, mais les premiers retours d’expérience montrent qu’elle peut être le double de ce qui était prévu. C’est très grave car bien souvent une partie du financement des travaux reposent sur le calcul des économies de charges.

Le discours actuel consiste à dire que ce sont les habitants qui sont responsables de ces surconsommations à cause d’un relâchement dans leurs comportements. C’est un peu trop facile ! Quand on regarde d’où viennent ces surconsommations, il y a aussi les malfaçons des entreprises lors des travaux. Un bon exemple est celui de la mauvaise étanchéité à l’air des cadres de fenêtre souvent posés à la va-vite car les poseurs sont payés à la pièce. Du coup les copropriétaires se retrouvent avec des fenêtres très performantes, mais surtout des fuites d’air qui les obligent au augmenter le chauffage.

Il y a aussi les problèmes de maintenance des installations collectives qui dégradent les performances énergétiques. Par exemple, après l’installation d’une nouvelle chaudière plus économe, le réseau de chauffage n’est pas équilibré et certains appartements se retrouvent avec des températures trop basses. Du coup, il faut augmenter le chauffage pour tout le monde afin que les moins favorisés aient un minimum de confort.

Bien entendu les comportements des habitants jouent aussi sur la consommation mais je ne formulerais pas le problème en termes de « relâchement ». C’est plutôt que les hypothèses prises dans les calculs sont irréalistes ! Par exemple, l’hypothèse d’une température de chauffage de 19°C alors que plusieurs études montre que la moyenne en France est plus élevée. En fait, on ne sait pas bien comment les gens se comporteront dans des bâtiments très isolés car on a encore trop peu d’exemple.

Pour éviter « l’effet rebond », la clé est dans l’engagement des habitants dans le projet de rénovation. D’une part pour effectuer un suivi précis des travaux et de la maintenance afin d’éviter les erreurs des entreprises. D’autre part, c’est l’adhésion des copropriétaires au projet qui va les amener à s’intéresser aux nouveaux équipements et les conduira d’eux même à adapter leurs gestes quotidiens. Cela ne sert à rien de vouloir « dresser » les habitants aux « bons » comportements, que l’on est de toute façon incapable de définir !

6. Que pensez-vous des obligations d’audit énergétique des copropriétés, obligatoire depuis le 01/01/2012 ?

Ils vont être obligatoires pour les immeubles de plus de 50 lots dotés d’un chauffage collectif, ce qui est loin d’être la majorité des logements en copropriété ! On ne traite donc que 15% du problème… Sinon les copropriétés de moins de 50 lots ou avec du chauffage individuel ne sont astreintes qu’à un diagnostic de performance énergétique collectif qui est beaucoup moins complet, insuffisant pour concevoir une rénovation.

Le choix de faire de l’audit une obligation légale est risquée car son intérêt repose sur la dynamique qu’il engendre au niveau de la copropriété et avec de nouveaux professionnels. Si les copropriétaires font un audit parce qu’ils y sont contraints cela risque de vider la démarche de son sens. Car ensuite ce n’est pas finit : il faut voter les travaux ! Et si la copropriété n’est pas mobilisée pour monter un projet de rénovation l’audit n’aura servi à rien.

7. Quels sont les facteurs qui peuvent influer sur les décisions des copropriétaires de se lancer dans un programme de travaux d’économies d’énergie? Croyez-vous à la « valeur verte » d’un appartement ou d’un immeuble en copropriété?

Je suis très sceptique sur cette notion de « valeur verte » du moins à court terme. D’abord, quand vous regarder les choix résidentiels des acheteurs, les premiers critères sont la surface et la localisation, le DPE vient loin derrière. D’ailleurs, il suffit de se rendre devant une agence immobilière pour constater que les agents ne sont pas très pressé pour afficher les DPE, c’est sûrement que cela ne constitue pas un critère primordial pour les acheteurs.

Ensuite, il y a en France une crise du logement qui se traduit par une hausse continue des prix de l’immobilier, en particulier dans certaines régions comme l’Ile de France. Quand vous êtes propriétaire d’un logement à Paris, sa valeur monte que vous fassiez des travaux ou pas… alors à quoi bon investir !

Enfin, la « valeur verte » c’est très théorique, sur le terrain c’est  beaucoup plus contrasté que ça. Dans les copropriétés, ceux qui ont l’intention de vendre sont en général les plus réticents aux travaux car ils sont ensuite utilisés par les acheteurs pour négocier à la baisse le prix de vente. Donc au final, la « valeur verte » c’est pour ceux qui ne veulent pas vendre, un bien beau paradoxe !

Pour moi le premier facteur qui peut influencer les décisions de rénovation énergétique, c’est l’évolution à la hausse du prix de l’énergie. Mais ce n’est pas suffisant car il y a des problèmes organisationnels, sinon, avec les fortes augmentations récentes, toutes les copropriétés seraient déjà en train d’isoler par l’extérieur, ce qui est loin d’être le cas.

A mon avis, l’évolution de la loi de 1965 est désormais une nécessité et pas seulement pour les économies d’énergies. L’ARC se bat depuis longtemps pour la mise en place d’un fond de travaux obligatoire. Il faut aussi s’interroger sur la légitimité d’une rémunération des syndics sur les travaux d’économie d’énergie quand on voit leur absence dans ces projets. La question qui est derrière est celle de l’émergence de nouveaux acteurs professionnels, plus à même d’accompagner les copropriétés dans la rénovation énergétique.

Du coté des professionnel du bâtiment, la question est de savoir s’ils vont accepter de prendre leur part de risque, qui est indissociable de toute innovation. Concrètement, vont-ils se lancer dans la mise en place de Contrat de Performance Energétique, garantissant les économies d’énergie ? Ces contrats ne seront peut-être pas tout de suite rentables car il y aura forcément des ratés, mais les copropriétaires aussi prennent des risques quand ils décident des travaux !

Enfin, un élément dont on parle moins souvent c’est le phénomène démographique actuel du « papy-boom » qui va libérer une force de travail importante de retraités. A cette étape de la vie les individus ont besoins de conserver des liens sociaux et sont nombreux à s’investir bénévolement, notamment dans la gestion de leur immeuble mais pas seulement. Des changements dans la loi de 1965 qui favoriseraient la gestion bénévole et coopérative permettraient sans doute, de canaliser cette force de travail nouvelle dans le sens de l’intérêt général.

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