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de Gaëtan Brisepierre Sociologue

Presse

ECO-FRUGAL : Être écolo chez soi et au bureau, c’est possible ! (2020)

Interview parue sur la page Linked-in d’Eco-Frugal

Pouvez-vous nous décrire l’étude que vous avez faite sur celles et ceux qui veulent être plus écolo au bureau ?

Avec la sociologue Anne Desrue, j’ai réalisé une étude qualitative pour explorer le phénomène du transfert de pratiques écologiques entre le domicile et le travail. C’est un mécanisme de changement social déjà connu pour l’adoption de nouvelles technologies mais pas encore décrit sur la transition écologique.

Nous avons interviewés une vingtaine de personnes ayant des pratiques écologiques au travail sans avoir pour autant avoir une fonction développement durable dans l’entreprise . Cette enquête a été réalisée dans le cadre d’un projet de recherche financée par l’ADEME, avec l’IFPEB, et deux psycho-sociologues, Delphine Labbouz-Henry et Laurent Auzoult qui ont ensuite suivi des expérimentations visant à favoriser l’adoption de pratiques écologiques au travail et le transfert à domicile.

Quel est le profil-type de ces acteurs engagés ?

Nous avons découvert l’existence d’une nouvelle figure sociale : le « transféreur », c’est-à-dire un salarié qui importe ses pratiques écologiques domestiques au travail et cherche à les diffuser auprès de ses collègues et dans l’organisation. Il s’agit en quelque sorte « d’intrapreneur » de RSE. Au-delà d’une adhésion à l’écologie, ce qu’ils ont de commun est un sentiment de mal être au travail lié à la dissonance entre leurs valeurs et pratiques personnelles et celles en entreprise qui reste largement un espace de « surconsommation ».

Concrètement que peuvent-ils apporter à l’entreprise ?

Ils peuvent aider les entreprises à dépasser le stade du « green washing » ! En effet, il y a souvent un grand écart entre le discours officiel de l’entreprise sur l’écologie et les pratiques au quotidien. Les transféreurs peuvent ainsi être les vecteurs d’une transition écologique véritable pour l’organisation à condition qu’elle sache les identifier, les écouter et les accompagner, ce qui n’est pas encore le cas.

En parallèle on s’aperçoit que le processus de diffusion des pratiques écologiques dans l’entreprise s’accompagne de bénéfices organisationnels connexes qui sont loin d’être négligeables : un mieux-être au travail et une attractivité pour les plus jeunes de plus en plus sensibles, une plus grande transversalité et convivialité dans les équipes, une meilleure appropriation de l’espace de travail qui devient un lieu de vie et pas seulement de labeur.

Quels sont les freins qu’ils rencontrent en interne ?

Le transféreur n’est pas uniquement un salarié qui a des comportements écolo au bureau, c’est un activiste qui cherche à diffuser de nouvelles pratiques comme le zéro papier, les menus végétariens à la cantine, le co-voiturage pour venir au boulot… Pour cela il ne suffit pas d’agir seul, il s’appuie sur un groupe informel de volontaires avec qui il va mener des actions d’accompagnement, des projets, des événements pour convaincre les collègues.

Mais pour diffuser largement et inscrire les pratiques écologiques dans la durée la démarche à mener est lourde, l’action des transféreurs se fait de façon amateur et « hors mission professionnelle ». Ils n’ont généralement ni le temps, ni les moyens d’aller au bout de leur démarche. Ils rencontrent aussi un problème de légitimité hiérarchique quand il s’agit de demander des changements aux services généraux, au management, au RH…

Comment l’entreprise peut-elle les identifier et se positionner vis à vis d’eux ?

Il faut déjà que les dirigeants prennent conscience de l’existence des transféreurs car ils passent « sous le radar ». Il n’est pas évident de les identifier car on ne crie pas sur tous les toits que l’on est écolo au travail, il y a encore une peur de la stigmatisation. On peut faire des appels à volontaires dans le cadre de programme d’engagement. Il y a de signes qui ne trompent pas : venir à vélo, apporter sa gamelle pour le midi, avoir un mug ou une gourde…

La Direction, et la RSE si elle existe, ont une révolution culturelle à faire si elles veulent surfer sur le phénomène des transféreurs. Il s’agit de considérer que la transition écologique de l’entreprise est “bottum up”, et pas seulement “top down”. Autrement dit, au lieu de fixer des grands objectifs qui sont difficiles à tenir, être à l’écoute des envies des salariés sur le plan écologique, et les accompagner dans la réalisation d’actions concrètes.

En tant que sociologue spécialiste des organisations que conseilleriez-vous de faire à une entreprise qui souhaite accélérer sa transition écologique ?

Je n’ai pas de solutions toutes faites, car les entreprises sont extrêmement diverses de par leur taille, la nature de leur activité, mais aussi leur mode de management. Dans tous les cas, il me semble que les signaux envoyés par la direction sont fondamentaux et doivent être explicites. Ensuite il faut soutenir les initiatives des salariés dans le domaine environnemental, y compris en leur accordant du temps, des moyens et de la reconnaissance. L’entreprise peut aussi proposer des démarches qui vont susciter ces initiatives comme CUBE 2020 ou Mon Atelier Ecofrugal.

Les enjeux sont énormes pour les entreprises car les nouvelles générations semblent choisir le combat écologique, comme leurs aînés baby-boomers ont choisi le combat social avec Mai 68. Il faut entendre et répondre aux Marches pour le climat, aux ingénieurs qui s’engagent à ne pas travailler dans des boîtes polluantes… Les organisations ont un rôle sociétal a jouer en intégrant les pratiques écologiques des transféreurs comme une norme, elles participent à convaincre la majorité qu’il est possible de changer.

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